Quand l’éducation à l’environnement oublie les émotions : une recherche sur l’écopsychologie, les éco-émotions et le pouvoir des récits
Et plus largement, tout ce que ces émotions disent de notre rapport au monde.
Un article récent de Frontiers in Education propose un cadre conceptuel particulièrement éclairant pour repenser l’éducation à l’environnement : intégrer l’écopsychologie, les éco-émotions et les récits au cœur des apprentissages
Dit autrement : on ne transforme pas les comportements environnementaux par la seule accumulation de connaissances, mais en mettant les émotions et les histoires au service d’une identité écologique plus profonde.
L’impasse d’une éducation purement cognitive
Depuis les années 1970, l’éducation à l’environnement s’est largement construite sur des objectifs cognitifs : comprendre les écosystèmes, analyser les crises, évaluer les données. Cette approche reste nécessaire, mais elle révèle aujourd’hui ses limites.
Comme le rappellent les auteurs, les connaissances ne suffisent pas à changer les comportements. Beaucoup de recherches montrent même qu’un “savoir augmenté” peut coexister avec une “action diminuée”.
Pourquoi ?
Parce que la crise écologique est aussi une crise affective.
Elle génère de multiples émotions – anxiété, colère, tristesse, paralysie, culpabilité – regroupées sous le terme de psychoterratic syndromes, qui affectent directement notre capacité d’agir.
Lorsqu’un élève, un adolescent ou un adulte se sent dépassé, inquiet ou impuissant face à l’ampleur des menaces, le discours rationnel a peu de prise.
La connaissance seule laisse intacte la distance entre ce que nous savons… et ce que nous faisons.
Les éco-émotions : non pas un problème, mais un levier
L’un des apports majeurs de l’article est de montrer que les éco-émotions ne sont pas un obstacle à éviter, mais un matériau pédagogique essentiel.
Parmi ces émotions, certaines sont négatives – éco-anxiété, éco-grief, solastalgie – et perturbent les fonctions cognitives nécessaires à la réflexion et à la prise de décision. D’autres sont positives et puissamment mobilisatrices : biophilia (attachement au vivant), topophilia (attachement aux lieux), soliphilia (désir de prendre soin ensemble).
L’éducation à l’environnement pourrait s’appuyer sur ces émotions, à condition d’enseigner des stratégies d’ajustement comme la reconfiguration cognitive (cognitive reappraisal), qui permet de transformer un sentiment d’impuissance en énergie d’action.
Les émotions deviennent alors des points d’entrée dans la complexité écologique – et non des fragilités dont il faudrait s’excuser.
Pourquoi les histoires transforment davantage que les chiffres
Une étude citée dans l’article montre que les récits déclenchent davantage d’émotions et d’actions que des argumentaires rationnels (Morris et al. 2019). Ils permettent :
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d’incarner les enjeux à travers des personnages, des lieux, des expériences vécues ;
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de développer l’empathie, notamment chez les plus jeunes ;
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de nourrir une éco-identité, c’est-à-dire la manière dont chacun se perçoit dans sa relation au vivant.
Les pédagogies fondées sur la narration – albums jeunesse, récits d’expériences, fictions écologiques, témoignages – contribuent à tisser un lien intime avec la nature, un lien qui soutient dans la durée l’envie d’agir.
Un cadre nouveau : la “Narrative-Enhanced Environmental Education”
Les auteurs proposent un modèle intégré, la NEEE (Narrative-Enhanced Environmental Education), qui articule :
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l’écopsychologie (comment la nature affecte nos émotions et inversement),
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les éco-émotions (négatives comme positives),
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les récits (comme vecteurs d’empathie et d’engagement).
Ce modèle montre que l’apprentissage passe par trois transformations profondes :
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Le développement d’une éco-identité→ Se percevoir comme faisant partie du vivant, et non comme extérieur à la nature.
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L’empathie et l’engagement émotionnel→ Se sentir concerné, touché, relié.
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L’attachement au vivant→ Créer un lien affectif durable avec les lieux, les êtres et les écosystèmes.
Ce sont ces trois dimensions – plus que la simple connaissance – qui rendent possible l’engagement écologique sur le long terme.
Ce que cela change pour l’éducation et pour nos institutions
L’approche proposée est précieuse, car elle offre une porte d’entrée différente, plus humaine, plus sensible, pour former des citoyens capables de tenir face à la crise écologique.
Cela implique :
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de reconnaître la place légitime des émotions dans l’apprentissage ;
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d’ouvrir des espaces narratifs, d’écoute et de partage ;
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de favoriser les expériences directes avec le vivant ;
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d’accompagner les jeunes (et les adultes) dans la construction d’un récit écologique personnel.
L’objectif n’est pas d’enseigner “l’écologie comme une matière de plus”, mais de créer une culture partagée, une manière d’habiter le monde avec lucidité, responsabilité et attachement.