L’espoir ne suffit plus et l’éducation à la transition écologique doit changer de cap


L’enseignement de la durabilité environnementale ne peut plus se limiter à une simple sensibilisation aux enjeux écologiques. Face aux données alarmantes issues du dernier rapport du GIEC et aux reculs politiques constatés dans de nombreux pays, les éducateurs et éducatrices doivent faire face à une tâche singulièrement exigeante. Comment enseigner sans effondrer ? Comment parler vrai sans assécher toute capacité d’agir chez les jeunes ? L’article signé par Rebecca Williams et Kari Grain apporte une réponse stimulante à ce dilemme contemporain. Il propose de dépasser le mythe d’un enseignement fondé sur l’optimisme en valorisant ce qu’elles nomment une praxis de l’espérance critique.

La fin d’un monde habitable, la fin d’un récit pédagogique ?

L’alerte est désormais partagée par la quasi-totalité de la communauté scientifique. L’objectif de limiter le réchauffement à 1,5 degré est hors d’atteinte, les conséquences sur les écosystèmes sont irréversibles, et les trajectoires actuelles mènent à une aggravation continue des effets climatiques. Pourtant, dans de nombreux pays, les engagements politiques s’amenuisent, les émissions repartent à la hausse, et les mécanismes de solidarité internationale montrent leurs limites.

Dans ce contexte, les professionnels de l’enseignement se retrouvent exposés à une forme de double peine. Non seulement ils doivent continuer à transmettre des savoirs scientifiques de qualité, mais ils doivent le faire dans un environnement saturé d’éco-anxiété, d’éco-paralysie et parfois de perte de sens. Cette tension traverse à la fois les élèves et leurs enseignants. Le danger n’est plus l’ignorance, mais l’épuisement moral.

Espérer autrement pour ne pas sombrer

Nombre d’initiatives éducatives misent encore sur l’espoir comme moteur d’engagement. Mais que signifie espérer quand la trajectoire semble déjà irréversiblement compromise ? Comment distinguer l’espérance sincère de l’optimisme naïf, ou pire, du déni politique ? C’est ici que les autrices mobilisent une approche singulière : celle de l’espérance critique, inspirée des travaux de Paulo Freire et adaptée aux urgences climatiques contemporaines.

Loin d’inviter à un sursaut de volontarisme, cette approche invite à une lucidité radicale. Il ne s’agit plus d’enseigner dans l’illusion d’un avenir meilleur, mais d’accompagner les apprenants dans la construction d’un rapport au monde où l’action reste possible, malgré l’effondrement partiel des repères. L’espérance critique ne nie pas les émotions négatives. Elle les accueille comme des signaux légitimes, parfois douloureux, mais aussi porteurs de compréhension, de dignité et de résistance.

Une pédagogie qui articule savoirs, émotions, systèmes et actions

L’article propose une structuration pédagogique autour de quatre dimensions indissociables. D’abord, transmettre des connaissances scientifiques solides sur l’état du climat, les limites planétaires et les trajectoires à venir. Ensuite, créer des espaces où les émotions peuvent être reconnues, partagées, travaillées. Troisièmement, mettre au jour les racines systémiques de la crise, en interrogeant les modèles de développement, les logiques extractivistes et les héritages coloniaux. Enfin, encourager les démarches d’engagement collectif qui permettent de retrouver une prise, même partielle, sur les situations vécues.

Cette approche globale ne repose pas sur des recettes toutes faites. Elle suppose une transformation du rôle de l’enseignant, qui devient un guide capable d’alterner entre écoute, confrontation, exposition des faits et accompagnement vers l’action. Il s’agit d’apprendre à penser et ressentir à plusieurs, dans la complexité, sans renoncer à la responsabilité.

Un exemple concret de transformation éducative

Pour illustrer leur propos, les autrices s’appuient sur un cours universitaire intitulé Wicked Problems of Sustainability. Les étudiants y sont invités à mener un double projet. D’un côté, ils développent des pratiques hebdomadaires de régulation émotionnelle, comme la méditation, la création artistique ou les activités en nature. De l’autre, ils s’engagent dans une action concrète, en rejoignant une initiative associative ou universitaire en lien avec la transition écologique.

Le cours intègre aussi une lecture critique des systèmes en place. Les étudiant·es enquêtent sur le fonctionnement du système alimentaire de leur campus, découvrant au passage des mécanismes d’exploitation méconnus, des inégalités profondes et un manque criant de cohérence entre discours et pratiques institutionnelles. La colère exprimée par les étudiants n’est pas réprimée. Elle devient un moteur pour penser autrement les responsabilités, les alliances possibles, et les stratégies d’action.

Vers une transformation durable des pratiques pédagogiques

Cette expérimentation pédagogique montre qu’il est possible d’articuler transmission des savoirs, écoute des émotions, analyse systémique et engagement local. Les étudiant·es en sortent transformés. Non pas plus optimistes, mais mieux outillés pour faire face à la complexité du monde, mieux capables de discerner les marges d’action et d’assumer leur place dans les luttes à venir.

L’espérance critique ne promet pas un avenir radieux. Elle invite à habiter notre époque avec dignité. Elle repose sur l’idée que le courage ne réside pas dans l’assurance d’un succès, mais dans la capacité à continuer à agir, à aimer, à s’indigner, malgré tout.

Et maintenant ? Pour une éducation qui forme à tenir debout

L’article se termine sur une question sans réponse définitive. Que vaut encore l’espoir si son objet n’est plus atteignable ? Les auteurs ne cherchent pas à résoudre cette tension. Ils suggèrent plutôt que chaque dixième de degré évité, chaque espèce protégée, chaque lien humain restauré constitue en soi une victoire. Non parce qu’il s’agirait de gagner, mais parce qu’il s’agit de tenir, ensemble, dans un monde abîmé.

L’espérance critique, telle qu’elle est proposée ici, est donc moins une émotion qu’une posture éthique. Elle transforme la manière d’enseigner, de vivre et de lutter. Elle invite à transmettre autrement : non pas des illusions, mais des ressources intérieures, des grilles de lecture, et des gestes pour ne pas détourner les yeux.

Car enseigner aujourd’hui, c’est peut-être cela : tenir une lampe dans la nuit, non pour prétendre l’éclairer tout entière, mais pour montrer qu’il reste des chemins, et que certains, malgré tout, les empruntent.

Citation

Williams, R. J., & Grain, K. (2025). Teaching in a Time of Climate Collapse: From “An Education in Hope” to a Praxis of Critical Hope. Sustainability, 17(12), 5459. https://doi.org/10.3390/su17125459

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