L’une des hypothèses sous-jacentes à cette approche est que la compréhension accrue des enjeux climatiques suffirait à susciter des actions. Or, comme le démontrent De Meyer et ses collègues, cette croyance est fondamentalement erronée. Informer ne suffit pas à provoquer des changements de comportement significatifs. Bien que les récits alarmistes puissent susciter une prise de conscience, ils échouent à transformer cette conscience en actes concrets. Cela conduit à une forme de paralysie collective où les individus, bien qu’inquiétés, se sentent impuissants face à l’ampleur du défi.
Le paradoxe des croyances et des actions
Contrairement à la croyance répandue selon laquelle les croyances changent les comportements, De Meyer et ses collègues montrent, à travers des études en psychologie sociale et neurosciences, que ce sont souvent les actions qui façonnent nos convictions. Ce principe, bien connu sous le nom de dissonance cognitive, suggère que lorsque les individus sont encouragés à réaliser des actions en faveur de l’environnement, même minimes, ces actions les poussent progressivement à adopter des comportements de plus en plus engagés. Loin de se limiter à des campagnes de sensibilisation, ce processus d’auto-justification par l’action a un impact plus profond et durable sur les mentalités et les pratiques.
L'exemple de la conservation de l'eau est souvent cité pour illustrer cette dynamique : des actions simples, comme l'installation de dispositifs de réduction de la consommation d'eau, conduisent fréquemment à des comportements plus avancés, tels que la mise en place de systèmes de récupération des eaux pluviales. Ce processus d'auto-justification renforce l’engagement des individus, leur donnant le sentiment qu’ils peuvent véritablement faire une différence. En revanche, lorsque les premières actions ne sont pas encouragées, la simple information sur les enjeux climatiques ne produit que peu de résultats concrets.
Cette découverte remet en question une grande partie des approches actuelles en matière de communication climatique, qui se concentrent sur la diffusion de l'information plutôt que sur l'incitation à l'action. De Meyer propose donc un changement de paradigme en plaçant l'action au centre des récits, et non plus seulement l'inquiétude ou la prise de conscience.
Créer l’agence : pourquoi l’aptitude à agir est la clé du changement climatique?
Le concept clé de l’étude est celui d'agence, que De Meyer définit comme la capacité d'un individu à agir de manière autonome et efficace pour provoquer un changement dans son environnement. Aujourd'hui, un des principaux écueils des récits climatiques est qu'ils échouent à fournir aux individus cette agence, se limitant à les alarmer sans leur offrir de solutions pratiques et accessibles pour répondre à la crise.
L'étude suggère que pour dépasser ce sentiment d'impuissance, il est nécessaire d'élargir les récits climatiques en montrant que l’action ne se limite pas aux simples choix de consommation (comme acheter des produits locaux ou réduire sa consommation de plastique) ou à l'activisme traditionnel. Si ces actions sont importantes, elles ne concernent qu'une fraction de la population, souvent déjà convaincue. En diversifiant les récits, en intégrant des exemples d’action dans des contextes professionnels, citoyens ou communautaires, il devient possible d’offrir à chacun des pistes d’engagement qui résonnent avec sa propre réalité.
Prenons l’exemple d’un enseignant qui, plutôt que de se contenter de parler des enjeux du changement climatique, pourrait impliquer ses élèves dans des projets concrets de développement durable dans leur école ou leur communauté. De même, un professionnel de la santé pourrait intégrer des solutions locales de résilience climatique dans ses pratiques, comme la création de programmes de prévention des maladies liées aux vagues de chaleur. Ce type de récits montre qu'il est possible d’agir à différents niveaux, selon les compétences et les contextes de chacun.
Les récits d’action comme refonte du discours environnemental
Le modèle proposé par De Meyer s’appuie également sur une riche tradition de récits inspirants issus de l’éducation par le divertissement. Ce concept, largement utilisé dans les campagnes de santé publique, consiste à structurer des récits autour de personnages qui incarnent des transformations positives. À travers leurs actions, ces personnages montrent comment des comportements vertueux peuvent se répandre dans une communauté et avoir des effets tangibles.
Un aspect fondamental de cette approche est l’utilisation de déviants positifs. Ces individus, qui trouvent des solutions novatrices pour résoudre des problèmes locaux, sont des sources d’inspiration pour leur communauté. Par exemple, dans des villages confrontés à des pénuries d’eau, certains membres de la communauté peuvent développer des systèmes de récupération d’eau innovants, montrant ainsi la voie à suivre pour les autres. De tels récits peuvent être particulièrement efficaces dans le cadre éducatif, en démontrant que même face à des obstacles importants, il est possible d'agir et de faire la différence.
Cette approche basée sur les récits d’action permet de surmonter l’inaction et le fatalisme souvent associés aux récits traditionnels. Au lieu de se focaliser sur la gravité du problème, l'idée est de montrer comment des individus et des communautés, en s'appuyant sur leurs compétences et leurs ressources locales, peuvent relever les défis climatiques. De plus, ces récits sont un puissant levier pour renforcer le sentiment d'auto-efficacité des individus, en leur montrant qu’ils ne sont pas impuissants face à l’ampleur de la crise, mais qu’ils ont un rôle actif à jouer.
L'éducation comme catalyseur de l’action : donner aux enseignants et aux élèves les moyens d’agir
L'une des contributions majeures de l’étude est de souligner le rôle central de l'éducation dans la création de récits climatiques porteurs d'action. L'éducation ne doit pas se limiter à informer sur la gravité du changement climatique, mais doit devenir un vecteur d'engagement pratique. Les enseignants, en particulier, peuvent jouer un rôle déterminant en intégrant dans leurs cours des projets concrets qui permettent aux élèves de s'impliquer activement dans des solutions locales.
Par exemple, un enseignant pourrait organiser des ateliers où les élèves travaillent sur des projets de jardinage durable, ou sur la conception de systèmes d’économie d’énergie dans leur école. Ces projets pratiques, en plus de renforcer l'apprentissage, permettent aux élèves de développer un sentiment d'agence, en les plaçant dans une position où ils peuvent voir les résultats concrets de leurs actions. De plus, en collaborant avec des acteurs locaux, comme des agriculteurs ou des urbanistes, ces projets créent des ponts entre l'école et la communauté, renforçant ainsi l’impact des initiatives locales sur la résilience climatique.
L'éducation à la durabilité doit également s'adapter aux contextes spécifiques de chaque communauté. Ce que propose l'étude de De Meyer, c'est d’utiliser les récits d'action pour faire comprendre aux élèves et aux enseignants que le changement climatique n'est pas seulement un problème global, mais un défi local qui peut être relevé par des initiatives concrètes. Par exemple, dans une région côtière menacée par la montée des eaux, les élèves pourraient participer à des projets de restauration des mangroves, une action qui a des effets positifs à la fois pour l'environnement local et pour la biodiversité.
Repenser la notion de responsabilité collective à travers les récits d’action
En élargissant les récits pour inclure des dimensions communautaires et professionnelles, l'étude propose également de repenser la manière dont nous concevons la responsabilité face au changement climatique. Trop souvent, cette responsabilité est perçue comme individuelle, chaque personne étant invitée à réduire son empreinte carbone à travers des gestes de consommation écoresponsables. Or, comme le soulignent De Meyer et ses collègues, cette approche est insuffisante pour mobiliser les masses.
Le véritable levier de changement réside dans la création d’une responsabilité collective, où chacun voit comment son rôle au sein de la société – en tant que citoyen, professionnel ou membre d'une communauté – peut contribuer à des solutions durables. Par exemple, des architectes et des urbanistes pourraient collaborer pour intégrer des solutions résilientes dans la construction de bâtiments, tandis que des collectivités locales pourraient soutenir des initiatives citoyennes en faveur des énergies renouvelables.
Ces récits d’action collective sont particulièrement puissants car ils permettent de surmonter les divisions souvent rencontrées dans les débats sur les actions climatiques. En se concentrant sur des exemples concrets de réussites locales, les récits montrent qu'il n'existe pas de solution unique au changement climatique, mais une multitude de solutions adaptées aux réalités de chaque communauté.
Conclusion : un nouveau souffle pour les récits climatiques
L’étude de Kris De Meyer et ses collègues nous invite à repenser radicalement la manière dont nous racontons le changement climatique. Plutôt que de continuer à ressasser des récits alarmistes et paralysants, il est temps de créer des histoires d'action, d'espoir et de transformation. En plaçant l'action au cœur de nos récits, nous offrons aux individus et aux communautés les moyens de devenir des acteurs du changement.
En tant qu’éducateurs, nous avons un rôle essentiel à jouer dans cette transformation. En intégrant des récits d'action dans nos pratiques pédagogiques, nous pouvons donner aux jeunes générations non seulement la compréhension des enjeux climatiques, mais aussi la confiance en leur capacité à agir. Il est temps de passer de la simple prise de conscience à l'action concrète, en montrant à chacun qu'il peut, à son échelle, contribuer à un avenir plus durable.
Citation
Lien vers l'étude
https://singtest.iopscience.iop.org/article/10.1088/1748-9326/abcd5a/meta