Comprendre le rôle des émotions dans l'apprentissage du changement climatique


Depuis quelques années, la mobilisation de la jeunesse pour le climat, portée par le mouvement Fridays For Future, a profondément renouvelé les imaginaires de l'action collective. Au-delà du slogan, cette participation active constitue une véritable expérience éducative, qui engage non seulement des connaissances mais aussi des émotions puissantes. L’étude menée par Deisenrieder et ses collègues vient apporter un éclairage précieux sur la manière dont les émotions façonnent l’apprentissage dans ce contexte. En explorant ce que vivent réellement les jeunes engagés dans ces mobilisations, cette recherche nous invite à repenser en profondeur l’éducation au changement climatique.

Un apprentissage qui passe par le vécu émotionnel

L’étude repose sur un dispositif de recherche original mené en Autriche, combinant un programme éducatif transdisciplinaire en milieu scolaire et la participation de lycéens aux manifestations de Fridays For Future. Sur un échantillon de près de 300 élèves, les chercheurs ont comparé ceux qui participaient aux protestations avec ceux qui n’y prenaient pas part. Ils ont mobilisé deux cadres théoriques complémentaires pour analyser le rôle des émotions : la théorie de la valeur et du contrôle, et la roue des émotions élaborée par Plutchik.

Les résultats montrent d’abord que les élèves engagés ressentent majoritairement des émotions positives, telles que la joie, la confiance, l’anticipation et la surprise. Ce climat émotionnel positif contraste avec l’image d’une jeunesse anxieuse et impuissante, souvent véhiculée dans les médias. Il souligne au contraire que l’action collective peut générer un sentiment de cohésion et d’enthousiasme propice à l’apprentissage. Les émotions négatives ne sont pas absentes, mais elles sont minoritaires et souvent liées à des frustrations face à l’inaction politique ou à des doutes sur l’impact réel des mobilisations.

Valeurs extrinsèques, sentiment de contrôle et engagement

L’un des apports majeurs de l’étude est de montrer que les émotions ressenties par les jeunes sont étroitement liées à leurs systèmes de valeurs et à leur sentiment de contrôle. Les élèves participants au mouvement expriment très souvent des valeurs dites extrinsèques, c’est-à-dire orientées vers un effet à produire sur la société ou sur les décideurs politiques. Il s’agit moins d’agir pour soi que de faire changer les choses. Cette orientation n’est pas à opposer aux valeurs dites intrinsèques, qui consistent à agir parce que cela semble juste en soi. Les deux types de valeurs coexistent chez les jeunes, et c’est leur combinaison qui paraît particulièrement féconde pour susciter un engagement durable.

Le sentiment de pouvoir agir concrètement – ce que les chercheurs appellent une attribution de contrôle interne – est très élevé chez ces élèves. Cela signifie qu’ils estiment que leur action, aussi modeste soit-elle, peut faire une différence. Cette conviction est essentielle, car elle permet de dépasser le fatalisme et de s’engager dans une dynamique d’action. À l’inverse, les élèves non participants expriment plus souvent un sentiment d’impuissance ou d’attente vis-à-vis des institutions, renvoyant la responsabilité du changement à d’autres acteurs.

Des implications directes pour l’éducation au climat

Ce que révèle cette étude, c’est que la participation à un mouvement comme Fridays For Future ne se résume pas à un geste symbolique ou protestataire. C’est une expérience éducative à part entière, qui active des leviers d’apprentissage souvent absents des dispositifs scolaires traditionnels. En associant émotion, action et sens, ces formes d’engagement transforment la manière dont les jeunes perçoivent le climat et leur capacité à agir.

Loin d’être un simple supplément d’âme, l’émotion devient un vecteur d’apprentissage essentiel. Elle donne de la consistance aux savoirs, les relie à l’expérience vécue, et ouvre un espace d’engagement. L’étude confirme ainsi que les émotions ne doivent pas être évitées ou considérées comme perturbatrices, mais au contraire intégrées de manière réfléchie dans les pédagogies du climat. Ce sont elles qui permettent de passer de la prise de conscience à l’implication concrète.

Les auteurs soulignent aussi l’importance de proposer des environnements d’apprentissage authentiques, qui résonnent avec les valeurs des élèves et leur donnent un sentiment d’efficacité. Les protestations climatiques sont un exemple parmi d’autres de ces environnements. On peut aussi imaginer des projets ancrés dans le territoire, des collaborations avec des associations locales, ou des simulations de négociation climatique. L’essentiel est que les élèves puissent se sentir légitimes et actifs dans leur apprentissage.

Sortir du tout-cognitif, repenser les parcours

Une autre leçon forte de cette recherche est la nécessité de sortir d’une approche purement cognitive de l’éducation au changement climatique. Trop souvent, les dispositifs pédagogiques se concentrent sur les connaissances scientifiques ou les comportements individuels à adopter. Cette focalisation exclusive peut engendrer de l’angoisse, du repli, voire un sentiment de saturation.

L’étude montre qu’un équilibre entre émotions positives et négatives est souhaitable, mais surtout que ces émotions doivent être accompagnées, mises en dialogue, et intégrées dans une trajectoire d’apprentissage qui fait sens pour les jeunes. L’objectif n’est pas de susciter une réaction émotionnelle passagère, mais de construire un engagement durable, ancré dans des valeurs et des relations.

Cela suppose de former les enseignants à repérer et à travailler les dimensions affectives des apprentissages, en s’appuyant sur des cadres théoriques solides comme ceux mobilisés dans l’étude. Cela suppose aussi de reconnaître que les jeunes ne sont pas seulement des apprenants, mais aussi des acteurs sociaux, porteurs d’aspirations et capables d’agir sur leur environnement.

Conclusion

En analysant les émotions vécues par des élèves engagés dans Fridays For Future, cette recherche met en lumière un aspect trop souvent négligé de l’éducation au changement climatique. Elle montre que l’engagement émotionnel, lorsqu’il est soutenu par un sentiment de contrôle et des valeurs claires, devient un moteur puissant d’apprentissage. Elle invite à dépasser les clivages traditionnels entre raison et émotion, entre savoirs et engagement, entre école et société.

Pour les professionnels de l’éducation, le message est clair. Il ne s’agit pas seulement d’informer sur le climat, mais de créer les conditions pour que les jeunes puissent s’y confronter, y réfléchir, s’y projeter et agir. C’est dans cette articulation entre connaissance, émotion et pouvoir d’agir que l’éducation au climat peut véritablement contribuer à une transformation collective.

Citation

Deisenrieder, V., Oberauer, K., Kubisch, S., Parth, S., Stötter, H., & Keller, L. (2024). Emotions affect learning about climate change – a case study of FFF. International Research in Geographical and Environmental Education34(1), 5–24. https://doi.org/10.1080/10382046.2024.2342727

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