Développer la pensée systémique pour comprendre et enseigner le changement climatique


Le changement climatique est souvent présenté comme une crise environnementale. Mais il est bien plus que cela car il est une manifestation paradigmatique d’un déséquilibre systémique, où se croisent des processus physiques, biologiques, sociaux et économiques, tous interdépendants et en constante interaction. Former les futurs enseignants à cette complexité n’est donc pas une option mais une nécessité.

C’est à partir de ce constat qu’une équipe de chercheurs espagnols – María A. Lorenzo-Rial, Mercedes Varela-Losada, Uxío Pérez-Rodríguez (Université de Vigo) et Pedro Vega-Marcote (Université de La Corogne) – a mené une étude innovante publiée en 2025 dans l’International Journal of Sustainability in Higher Education

Leur objectif était double :

  1. concevoir un outil permettant d’évaluer la pensée systémique appliquée au climat,

  2. tester son efficacité auprès de futurs enseignants du primaire.

Pourquoi la pensée systémique est une compétence clé

La pensée systémique est définie comme la capacité à reconnaître les éléments d’un système, à comprendre leurs relations, à anticiper leurs évolutions et à percevoir les dimensions cachées ou indirectes de leurs interactions. Dans le cadre du climat, cette approche est indispensable car un changement dans une variable (ex. émissions de CO₂) entraîne des rétroactions multiples (fonte des glaces, acidification des océans, hausse des températures) qui modifient l’ensemble de l’équilibre planétaire.

Or, de nombreuses recherches montrent que ni les citoyens ni les enseignants ne maîtrisent spontanément cette approche complexe. Plusieurs recherches avaient déjà observé que même des étudiants très qualifiés en sciences échouent à saisir des notions telles que les délais temporels ou les rétroactions non linéaires. Le défi pédagogique est donc immense vu qu'il ne s’agit pas seulement de transmettre des savoirs, mais de transformer les façons de penser.

Une expérimentation auprès de futurs enseignants

Les auteurs ont mis en place une séquence pédagogique auprès de 82 étudiants en formation initiale à l’université de Vigo (Espagne). L’activité, construite selon le paradigme socio-constructiviste, comprenait :

  • une simulation numérique de l’effet de serre,

  • l’analyse de rapports du GIEC et de graphiques sur « l’Anthropocène » (Steffen et al., 2015),

  • des débats autour des inégalités sociales et de genre face aux impacts climatiques,

  • la production collective de vidéos explicatives synthétisant les apprentissages.

Ces productions ont ensuite été évaluées à l’aide d’une grille d’analyse inédite construite par les chercheurs, sur la base des travaux existants.

Une grille en trois niveaux de complexité

La grille élaborée distingue cinq compétences (Systems Thinking Skills, STS), regroupées en trois niveaux de complexité :

  1. Niveau basique

    • Identifier les composants naturels et anthropiques du système climatique (gaz à effet de serre, océans, forêts, activités humaines).

    • Établir des relations simples de cause à effet (augmentation du CO₂ → réchauffement → perturbation des équilibres).

  2. Niveau intermédiaire

    • Relier ces éléments pour concevoir le changement climatique comme un processus global et interconnecté, en interaction avec d’autres phénomènes planétaires (acidification des océans, perte de biodiversité).

  3. Niveau avancé

    • Intégrer les dimensions cachées : impacts sociaux, inégalités, justice intergénérationnelle.

    • Développer une pensée temporelle : rétroactions différées, irréversibilités, anticipation des effets futurs.

Chaque compétence était mesurée sur une échelle de 1 à 5, à partir des verbalisations contenues dans les vidéos des étudiants.

Les résultats montrent des forces et de grandes fragilités

Les résultats révèlent une progression nette mais inégale selon les niveaux de complexité :

Forces identifiées

Les étudiants réussissent bien à identifier les composants et processus de base. Ils établissent correctement des liens simples (ex. « le CO₂ augmente la température de l’atmosphère ») et parviennent parfois à présenter le changement climatique comme un phénomène global.

Fragilités majeures

Dès qu’il s’agit d’atteindre les niveaux avancés, les difficultés sont manifestes :

  • penser dans le temps (rétroactions, délais, irréversibilités) reste très rare ;
  • la prise en compte des impacts sociaux, économiques et inégalitaires est largement déficiente.

Concrètement, beaucoup décrivent les effets environnementaux (fonte des glaces, sécheresses) sans faire le lien avec les conséquences humaines (vulnérabilité, migrations, santé).

Ces résultats confirment ce que d’autres études avaient déjà montré, à savoir que la pensée systémique est un processus d’apprentissage progressif, qui nécessite d’être guidé par étapes.

Implications pédagogiques

L’étude propose plusieurs pistes pour améliorer la formation des enseignants et, plus largement, l’éducation au climat :

  • Travailler avec des données réelles (rapports scientifiques, statistiques locales) pour montrer les liens entre phénomènes globaux et conséquences concrètes.

  • Utiliser les technologies numériques (simulateurs, modélisations) pour aider à visualiser les scénarios futurs et les effets différés des décisions actuelles.

  • Intégrer explicitement la dimension sociale et éthique du climat : inégalités, justice climatique, responsabilités différenciées.

  • Progression par paliers : commencer par les composants simples avant d’introduire progressivement la temporalité et les interconnexions sociales.

Une grille pour penser autrement

L’apport majeur de cette recherche est d’avoir construit une grille d’évaluation systémique qui dépasse la simple identification de processus naturels. En intégrant aussi les dimensions sociales, temporelles et éthiques, elle fournit un cadre pour former des enseignants capables de transmettre une compréhension holistique du climat.

Cette démarche rappelle qu'il ne suffit pas d’expliquer la science du climat pour préparer les citoyens de demain. Il faut leur apprendre à penser en systèmes, à relier les échelles, les temporalités et les dimensions humaines.

Comme le souligne l’étude, la formation des enseignants ne doit pas viser l’exhaustivité scientifique, mais une capacité à outiller les élèves pour agir dans un monde interdépendant et incertain.

Cet article montre que l’éducation au climat a encore beaucoup à faire pour développer la pensée systémique. Mais il propose aussi une voie en construisant des outils d’évaluation et des parcours de formation qui, pas à pas, permettent d’accéder à cette compétence essentielle. 

Citation

Lorenzo-Rial, M.A.,Varela-Losada, M., Pérez-Rodríguez, U.;Vega-Marcote, P. (2025)
“Developing systems thinking to address climate change”, International journal of
sustainability in higher education, Vol. 26, Issue 1, pp. 83 – 100.
https://doi.org/10.1108/IJSHE-12-2022-0404

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