Comprendre les liens complexes entre connaissances, attitudes et comportements face aux enjeux de durabilité
Les résultats révèlent une réalité plus complexe qu’il n’y paraît : savoir ne suffit pas à agir. Pour comprendre ce paradoxe, il faut examiner les dynamiques profondes qui façonnent la littératie en durabilité et les leviers éducatifs susceptibles de la renforcer.
La littératie en durabilité : un cadre d’analyse essentiel
L’étude s’inscrit dans un projet international visant à mieux comprendre la sustainability literacy (ou littératie en durabilité), définie comme l’ensemble des connaissances, attitudes, compétences et comportements nécessaires pour agir en faveur d’un avenir soutenable.
Cette littératie repose sur trois dimensions principales :
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Sustainability Knowledge (SK) : les connaissances liées aux processus écologiques, à l’utilisation des ressources naturelles, aux impacts environnementaux et aux solutions existantes.
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Sustainability Attitude (SA) : les attitudes personnelles, intégrant trois sous-dimensions majeures :
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SA1 : l’inquiétude ou le niveau de préoccupation environnementale
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SA2 : la responsabilité sociale
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SA3 : le locus de contrôle, c’est-à-dire le sentiment d’avoir un pouvoir d’agir.
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Sustainability Behavior (SB) : les comportements concrets, regroupés en trois volets :
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SB1 : les habitudes de consommation
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SB2 : l’usage des ressources au quotidien (eau, énergie, déchets)
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SB3 : la participation collective (actions citoyennes, engagement associatif, plaidoyer).
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Cette approche permet de dépasser les analyses limitées à la seule sensibilisation pour étudier la manière dont le savoir, le vouloir et le pouvoir agir interagissent.
Une méthodologie comparative pour comprendre l’influence des contextes
L’étude a été conduite auprès d’étudiants inscrits à l’Université de Plymouth au Royaume-Uni et à l’Université de Mugla Sitki Kocman en Turquie. Ce choix repose sur l’idée que la culture, les politiques éducatives et les dynamiques sociales influencent directement la manière dont les jeunes se représentent la durabilité et s’engagent.
L’échantillon total couvre plusieurs disciplines : sciences de l’environnement, sciences sociales, éducation, santé, ingénierie et informatique. Cette diversité permet de comparer les effets de la spécialisation académique sur les niveaux de connaissances et sur les comportements adoptés.
Les principaux résultats : entre corrélations fortes et écarts persistants
Les analyses statistiques, basées sur des modèles d’équations structurelles (SEM), mettent en évidence trois résultats clés :
Les connaissances renforcent les attitudes favorables
La corrélation entre connaissances (SK) et attitudes (SA) est très forte (r = 0,87 ; p < 0,05). Les étudiants qui disposent d’un socle solide de connaissances écologiques expriment plus souvent des préoccupations et des valeurs compatibles avec la durabilité.
Cependant, ce lien repose essentiellement sur la sous-dimension SA3 (locus de contrôle) : comprendre les enjeux ne suffit pas, il faut croire que l’on peut agir. C’est un enseignement majeur pour les pédagogies environnementales.
Les attitudes influencent les comportements, mais pas totalement
La relation entre attitudes (SA) et comportements (SB) est positive mais modérée (r = 0,35 ; p < 0,05). Les étudiants sensibilisés agissent davantage… mais pas toujours.
Les sous-dimensions révèlent des nuances intéressantes :
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Les étudiants inquiets (SA1) n’adoptent pas systématiquement de comportements durables ; l’anxiété seule ne suffit pas à passer à l’action.
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La responsabilité sociale (SA2) est corrélée aux comportements collectifs (SB3), comme la participation à des projets locaux ou associatifs.
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Le locus de contrôle (SA3) est le facteur le plus décisif : plus les étudiants se sentent capables d’influencer le changement, plus ils modifient leurs pratiques.
Le savoir ne suffit pas à transformer les pratiques
La corrélation entre connaissances (SK) et comportements (SB) est très faible (r = 0,084 ; p < 0,05). Autrement dit, l’information seule ne suffit pas pour changer les habitudes : le fameux écart savoir-agir persiste.
Ce constat rejoint les travaux de Kollmuss & Agyeman (2002) : le comportement environnemental est façonné par une interaction complexe entre facteurs internes (motivations, valeurs, émotions) et externes (contraintes économiques, infrastructures, normes sociales).
Quand la culture façonne la durabilité : le rôle du contexte national
Un autre résultat marquant est le poids du contexte culturel. La nationalité est le plus fort prédicteur des attitudes (β = 0,93) et un facteur significatif des comportements (β = 0,23).
Cela signifie que :
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Les politiques publiques, les programmes éducatifs et les normes sociales modèlent profondément les représentations de la durabilité.
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Les stratégies d’éducation et de formation doivent donc être adaptées aux contextes : ce qui fonctionne dans un pays peut être moins efficace ailleurs.
Implications pour l’éducation à la durabilité
Les résultats de cette étude confirment que former ne suffit pas, il faut transformer. Pour renforcer la littératie en durabilité, les approches éducatives doivent :
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Travailler le sentiment de pouvoir agirDévelopper le locus de contrôle est essentiel : les étudiants doivent sentir que leurs choix ont un impact réel.
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Favoriser l’apprentissage expérientielLes connaissances doivent être reliées à des situations concrètes : ateliers collaboratifs, projets sur le terrain, démarches citoyennes.
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Encourager l’action collectiveL’étude montre que les comportements durables se développent davantage lorsque les étudiants sont impliqués dans des dynamiques collectives plutôt que laissés seuls face à leurs choix individuels.
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Adapter les programmes aux réalités localesLes politiques éducatives doivent tenir compte des contextes culturels et institutionnels. Une pédagogie efficace en Turquie ne sera pas identique à celle qui fonctionne au Royaume-Uni.
Un appel à repenser nos pratiques pédagogiques
L’étude confirme un point essentiel : l’éducation à la durabilité ne peut pas se limiter à transmettre des savoirs. Le passage de la sensibilisation à l’action suppose de repenser la pédagogie, de créer des expériences collectives et de s’appuyer sur la diversité des contextes culturels.
Former des citoyens capables de faire face aux défis environnementaux, c’est développer une littératie en durabilité complète : savoir, vouloir et pouvoir agir.
Référence
Lien vers l'article
https://files.eric.ed.gov/fulltext/EJ1392281.pdf