Croire au climat ou croire la source ? Ce que les enseignants peuvent apprendre des recherches sur la confiance et les croyances


Pourquoi certains adultes, pourtant éduqués et informés, continuent-ils de douter des conclusions scientifiques sur le changement climatique ? Pourquoi d'autres n’acceptent ces conclusions que si elles proviennent de médias ou de personnalités politiques alignés avec leurs propres convictions ? Ces questions sont loin d’être anecdotiques. Elles soulignent à quel point la réception de l’information scientifique ne dépend pas seulement de son exactitude, mais aussi du regard que l’on porte sur sa provenance, sur ce qu’est une preuve, et sur qui peut être considéré comme légitime pour parler de la vérité.

Dans un contexte où l’urgence climatique appelle une mobilisation éclairée de toute la société, l’éducation a un rôle central à jouer. Mais encore faut-il qu’elle ne se contente pas de transmettre des contenus scientifiques : elle doit aussi outiller les élèves pour naviguer dans un environnement saturé d’informations contradictoires, de récits partisans et de désinformation. C’est précisément sur ce terrain que se situe l’étude publiée en 2024 dans le Journal of Research in Science Teaching par Victoria Johnson et ses collègues. Elle apporte un éclairage nouveau sur les conditions qui favorisent ou entravent la confiance dans les messages scientifiques relatifs au climat.

À partir d’un échantillon de 559 adultes américains, les chercheurs ont testé l’impact combiné de trois facteurs : l’orientation politique des individus, leur manière d’appréhender la connaissance (leurs croyances épistémiques), et la source apparente des informations climatiques (institution scientifique, média conservateur ou média libéral). Les résultats ne sont pas seulement intéressants pour les chercheurs en psychologie ou en science politique. Ils interpellent directement le monde éducatif, en particulier celles et ceux qui œuvrent à la formation à la durabilité environnementale.

Un protocole révélateur : croire l’information ou croire la source ?

L’expérimentation conduite par Johnson et ses collègues repose sur une idée simple mais d’une efficacité redoutable : tester dans quelle mesure la source apparente d’un message scientifique influence la confiance qu’on lui accorde. Les participants ont été exposés à 24 affirmations relatives au changement climatique, toutes factuelles, mais présentées comme issues de trois types de sources distinctes : un média conservateur (tel que Fox News), un média libéral (comme le Huffington Post) ou une institution scientifique (comme l’EPA – Environmental Protection Agency).

Chaque affirmation était rigoureusement la même, seul le logo accompagnant le texte changeait. Les chercheurs demandaient ensuite aux participants de se prononcer sur deux éléments : leur degré de confiance dans la source et leur adhésion au contenu de l’affirmation.

Ce dispositif permettait de faire apparaître un phénomène désormais bien documenté : deux personnes peuvent lire exactement la même information, mais la croire ou non selon la provenance qu’on lui prête. C’est là que se loge une des grandes difficultés pédagogiques dans les domaines sensibles comme le climat : la vérité scientifique ne suffit pas toujours à convaincre, surtout lorsqu’elle entre en tension avec des appartenances politiques ou des manières de concevoir la connaissance.

Trois visions de la connaissance : intuition, preuves, et politique

L’un des apports majeurs de l’étude réside dans l’analyse des croyances épistémiques des participants, c’est-à-dire de leur vision de ce qu’est un savoir fiable. Les chercheurs ont identifié trois dimensions centrales :

  • La foi dans l’intuition : certaines personnes accordent plus de poids à leur ressenti ou à leurs expériences personnelles qu’à des données objectivées. Elles peuvent considérer qu’« on sait les choses par instinct ».

  • Le besoin de preuves : à l’opposé, d’autres attachent une importance décisive aux démonstrations empiriques, aux faits vérifiables, et à la logique argumentative. Elles sont davantage enclines à suspendre leur jugement si les éléments de preuve ne sont pas jugés suffisants.

  • La vérité est politique : cette troisième posture suppose que les faits eux-mêmes sont façonnés par des rapports de pouvoir. Dans cette perspective, même les affirmations scientifiques sont vues comme socialement construites, donc situées, orientées, et parfois soupçonnées de défendre des intérêts dominants.

Ces dimensions influencent profondément la réception des messages climatiques. L’étude montre que plus un individu accorde de valeur à l’intuition ou croit que la vérité est politique, moins il distingue les sources. À l’inverse, ceux qui valorisent les preuves font davantage confiance aux institutions scientifiques, indépendamment de leur propre bord politique.

Quand l’idéologie se conjugue à l’épistémologie

L’orientation politique des participants – de libéral à conservateur – joue elle aussi un rôle important, mais de manière nuancée. De façon générale, les conservateurs accordent moins de confiance aux affirmations climatiques que les libéraux, surtout lorsqu’elles proviennent de médias opposés à leurs idées.

Mais ce qui frappe, c’est l’interaction entre idéologie politique et posture épistémique. Les conservateurs qui pensent que la vérité est politique ou qui se fient à leur intuition accordent une confiance équivalente aux médias conservateurs et aux institutions scientifiques. Ce n’est pas qu’ils rejettent la science par principe, mais qu’ils filtrent l’information à travers une double grille : politique et cognitive.

Dans certains cas, les institutions scientifiques sont encore perçues comme des lieux de relative neutralité, contrairement à certains scientifiques qui, en tant que figures médiatiques, peuvent être accusés de partialité. Cette distinction subtile pourrait expliquer pourquoi certains publics conservateurs continuent de croire certaines institutions, à condition qu’elles ne soient pas perçues comme "militantes" ou idéologiquement orientées.

Des implications directes pour l’éducation à la durabilité

Ces résultats sont loin d’être de simples curiosités sociologiques. Ils concernent directement le quotidien de l’enseignement. Comment transmettre des savoirs climatiques dans une classe où certains élèves sont exposés, chez eux ou sur les réseaux sociaux, à des récits qui contredisent frontalement ce qu’ils apprennent en cours ? Comment faire face à des discours où l’on affirme que « la science est biaisée », ou que « chacun a sa vérité » ?

L’étude suggère qu’il ne suffit pas d’insister sur les faits. Il faut aussi travailler les postures épistémiques. Apprendre à différencier une opinion d’une preuve. Comprendre comment se construit une connaissance. Prendre conscience de ses propres biais cognitifs. C’est là un enjeu clé de l’éducation scientifique et de l’éducation à la durabilité.

Les résistances aux savoirs scientifiques ne sont pas toujours dues à un déficit d’information. Elles tiennent souvent à des logiques d’identité, de loyauté sociale, ou de défiance envers certaines figures d’autorité. Cela impose aux enseignants de ne pas seulement transmettre des contenus, mais de cultiver une pensée critique exigeante, une réflexivité sur les sources, et une ouverture au débat rationnel.

Conclusion

Il ne suffit donc pas d’enseigner "les faits" sur le changement climatique. Pour que ces faits soient compris, acceptés et utilisés de manière constructive, il faut aussi travailler la posture épistémique des apprenants. C’est là que l’éducation à la durabilité peut trouver un point d’ancrage fort : en aidant les élèves à reconnaître les biais cognitifs, à identifier les sources fiables, à faire la différence entre preuve et opinion.

Développer des compétences d’évaluation critique de l’information, encourager une posture de recherche de preuves, et renforcer la confiance dans les institutions scientifiques sont autant de leviers pour prévenir la désinformation et favoriser une adhésion éclairée aux enjeux écologiques. Cela suppose aussi de prendre au sérieux les identités politiques et sociales des apprenants, sans les stigmatiser, mais en comprenant comment elles structurent leurs rapports au savoir.

En définitive, l’étude de Johnson et al. nous rappelle que la lutte contre le déni climatique ne se joue pas uniquement sur le terrain de la science, mais aussi sur celui de l’éducation. Et plus précisément, sur ce terrain délicat où s’entrelacent confiance, croyance, identité et connaissance.

Citation:

Johnson, V., Butterfuss, R., Harsch, R., & Kendeou, P. (2025). Patterns of belief and trust in climate change information. Journal of Research in Science Teaching, 62(3), 655683. https://doi.org/10.1002/tea.21967

Lien vers l'article:

https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/tea.21967?af=R