Mieux parler du climat aux jeunes en comprenant leurs perceptions pour mieux les impliquer


À l’heure où les effets du changement climatique se multiplient et s’intensifient, une question se pose avec une acuité croissante : comment faire en sorte que les jeunes générations soient non seulement informées, mais aussi véritablement impliquées dans la transition écologique ? L’article de Maria Ojala et Yuliya Lakew, publié dans l’Oxford Research Encyclopedia of Climate Science, fournit un éclairage particulièrement riche sur cette problématique en croisant les apports de la psychologie, de la sociologie, de l’éducation et des sciences de la communication.

Loin des approches purement technicistes ou moralisatrices, les autrices plaident pour une transformation profonde des modes de communication envers les jeunes, en tenant compte de leurs spécificités cognitives, émotionnelles, sociales et culturelles. Cet article propose d’en restituer les principales conclusions, afin de nourrir la réflexion et les pratiques des professionnels de l’éducation à la durabilité environnementale.

Des jeunes préoccupés mais en tension entre conscience et impuissance

L’une des premières idées fortes du texte est que les jeunes, dans leur diversité, manifestent une conscience souvent élevée des enjeux climatiques. Plusieurs enquêtes citées montrent que l’inquiétude à l’égard du climat est plus marquée chez les adolescents et les jeunes adultes que chez les générations plus âgées. Beaucoup d’entre eux considèrent que les nouvelles générations sont plus sensibilisées à l’environnement que leurs aînés, et cette préoccupation s’inscrit même dans ce que certains chercheurs qualifient d’« identité globale juvénile ».

Cependant, cette sensibilité ne se traduit pas toujours en actions concrètes. Le mode de vie des jeunes n’est, en moyenne, pas plus écologique que celui des adultes, et l’on observe un décalage important entre les attitudes déclarées et les comportements réels. Cette contradiction peut s’expliquer par plusieurs facteurs. D’abord, les jeunes n’ont pas toujours les connaissances scientifiques suffisantes pour comprendre les mécanismes du changement climatique. Des confusions persistent, comme celle entre l’effet de serre et le trou dans la couche d’ozone. Ensuite, leur perception du futur global est souvent sombre et anxiogène, tandis qu’ils conservent une vision optimiste de leur avenir personnel – une dissociation qui reflète la distance affective avec laquelle est perçu le problème climatique.

Cette distance est aggravée par un sentiment d’impuissance largement partagé. N’ayant pas encore le droit de vote pour beaucoup, dépendant du mode de vie familial, les jeunes peinent à se sentir acteurs du changement. Leur capacité d’action est perçue comme limitée, et leur sentiment d’efficacité individuelle est faible. Les décisions semblent lointaines, réservées aux experts ou aux gouvernements, ce qui nourrit une forme de fatalisme. Or, cette tension entre désir d’agir et perception d’impuissance peut engendrer une détresse psychologique, notamment lorsqu’on mise excessivement sur des messages alarmants sans proposer de leviers concrets.

Composer avec les émotions pour éviter le repli

Face à l’ampleur du défi climatique, les jeunes ne restent pas insensibles. La peur, la colère, l’inquiétude ou le découragement sont fréquemment observés. Et si certains jeunes peuvent paraître désengagés ou désintéressés, cela ne signifie pas nécessairement qu’ils ne se sentent pas concernés. Au contraire, des recherches ont montré que ce retrait apparent peut être une stratégie de protection face à une surcharge émotionnelle ou à une information perçue comme paralysante.

Lorsque l’éducation environnementale met l’accent sur les catastrophes à venir sans offrir d’espaces d’expression ni de leviers d’action, elle risque de susciter davantage d’anxiété que d’engagement. Les jeunes qui utilisent des stratégies centrées sur le problème, en tentant de modifier leur comportement individuel, montrent certes une plus grande volonté d’agir, mais sont aussi plus exposés aux émotions négatives, car ils savent que leurs efforts isolés ne suffiront pas à inverser la tendance.

Il devient donc essentiel d’intégrer dans les démarches éducatives une prise en compte explicite des émotions, sans pour autant infantiliser les élèves. Il ne s’agit pas de protéger les jeunes de la complexité, mais de leur donner les moyens d’y faire face : en favorisant des formes de coping constructives, en stimulant leur capacité à donner du sens aux événements, et en cultivant une forme d’espérance active, qui ne nie ni les obstacles ni la possibilité d’y répondre collectivement.

Le rôle ambivalent des médias dans la sensibilisation

Les médias, qu’ils soient traditionnels ou numériques, occupent une place centrale dans la manière dont les jeunes découvrent et interprètent les enjeux climatiques. Ils sont souvent la première source d’information, bien avant l’école ou les discussions familiales. Or, l’impact de ces messages est loin d’être univoque.

Une partie des jeunes assimile rapidement les termes les plus diffusés – effet de serre, émissions de CO₂ – mais sans toujours comprendre les mécanismes scientifiques sous-jacents. Pire encore, certains récits médiatiques, en insistant sur la controverse, l’incertitude ou le sensationnalisme, peuvent nourrir une forme de désengagement. Le recours à des images choquantes ou à des discours alarmistes peut susciter un effet de sidération, voire de rejet, en particulier lorsque les jeunes ne se sentent pas outillés pour comprendre ou agir.

Cependant, les médias peuvent aussi jouer un rôle positif, notamment lorsque les contenus sont visuels, narratifs et adaptés au contexte des jeunes. Des expériences pédagogiques ont montré que des films comme Une vérité qui dérange, des visualisations interactives ou des jeux numériques pouvaient renforcer temporairement l’engagement, surtout si les jeunes peuvent ensuite discuter de ces contenus en groupe, avec des adultes de confiance. La clé réside alors dans l’articulation entre exposition aux médias et médiation pédagogique.

Arts, fiction et narration : vers des pédagogies plus incarnées

Pour sortir d’une approche strictement informative et susciter un engagement plus profond, de nombreux chercheurs plaident pour le recours à des approches artistiques ou ludo-éducatives. Théâtre, musique, littérature jeunesse, vidéos participatives, jeux de rôle ou jeux numériques sont autant de moyens de rendre le changement climatique plus concret, plus proche et plus mobilisateur.

Le théâtre, en particulier, offre un espace unique pour traiter à la fois des faits et des émotions. Des projets de théâtre participatif où les jeunes écrivent et mettent en scène des situations liées au climat ont montré qu’ils favorisent l’implication, la collaboration et la capacité à imaginer d’autres futurs. Ces expériences permettent aussi de sortir des logiques binaires entre optimisme et pessimisme, en ouvrant un espace pour penser les conflits de valeurs et la complexité des choix à faire.

Bien que les études sur les effets à long terme de ces approches restent limitées, les résultats qualitatifs suggèrent une meilleure appropriation des savoirs et une plus grande motivation à s’impliquer. Elles permettent également aux jeunes de s’approprier leur rôle de citoyens, capables de se projeter dans l’action collective et pas seulement dans des gestes individuels.

Parler du climat entre générations et dans les cercles de confiance

L’engagement des jeunes ne se forge pas uniquement à l’école ou devant les écrans. Il se construit aussi – et parfois surtout – dans les échanges du quotidien : en famille, avec les amis, ou avec les enseignants. Ces conversations ordinaires jouent un rôle fondamental dans la manière dont les jeunes se positionnent par rapport au climat.

Traditionnellement, les chercheurs ont insisté sur l’influence unidirectionnelle des adultes sur les jeunes. De nombreuses études confirment que les valeurs environnementales des parents, tout comme la manière dont ils en parlent, influencent significativement la perception du changement climatique chez leurs enfants. Un dialogue ouvert avec les parents favorise une approche plus constructive et diminue le recours au déni ou à l’évitement.

Mais l’influence peut aussi aller dans l’autre sens. Certaines recherches montrent que les enfants peuvent sensibiliser leurs parents, notamment lorsqu’ils partagent ce qu’ils ont appris à l’école ou expérimenté dans des projets pédagogiques. Il s’agit là d’un phénomène de « socialisation inversée », encore sous-exploré mais prometteur : lorsque l’enfant devient messager du changement au sein de son foyer.

Les pairs jouent également un rôle clé à l’adolescence. Les normes sociales implicites, les codes du groupe, les discussions entre amis façonnent les façons d’aborder – ou d’éviter – certains sujets. Dans certains cas, parler de climat peut être perçu comme « pas cool », et il est donc essentiel de créer des environnements où ces échanges deviennent valorisants, voire identitaires. Les enseignants, quant à eux, sont mieux écoutés lorsqu’ils transmettent une approche équilibrée : ni catastrophiste, ni édulcorée. Les jeunes se montrent plus réceptifs à des messages porteurs d’espoir, de solutions, et d’orientation vers l’action collective.

En somme, la communication interpersonnelle ne se limite pas à la transmission de contenu : elle implique des dynamiques affectives, sociales et culturelles qu’il est nécessaire de prendre en compte dans les projets éducatifs.

Impliquer les jeunes autrement : la force des démarches participatives

Parmi les pistes les plus prometteuses mises en avant dans l’article, l’approche participative occupe une place majeure. Impliquer les jeunes de manière active – non pas seulement comme récepteurs, mais comme contributeurs – change leur rapport au problème et développe leur sentiment d’efficacité. C’est notamment le cas dans des démarches d’adaptation aux événements climatiques extrêmes.

Des expériences menées aux Philippines ou au Salvador montrent que lorsque des jeunes participent à des projets de vidéos participatives sur le climat, ils acquièrent non seulement des connaissances, mais aussi un sentiment de pouvoir d’agir, tout en apportant des points de vue différents de ceux des adultes – notamment sur les causes sociales des catastrophes. Ce type de démarche bénéficie à l’ensemble de la communauté, et pas uniquement aux participants directs.

Les jeunes peuvent aussi jouer un rôle de passeurs dans leur entourage. En participant à des actions locales, en animant des ateliers dans des jardins pédagogiques ou dans des lieux culturels comme les zoos ou les musées, ils deviennent des vecteurs de sensibilisation dans leur propre famille et leur quartier. Ces expériences leur permettent de relier les enjeux globaux à leur environnement proche, et donc de se sentir légitimes à agir.

Les résultats de ces démarches sont clairs : plus les jeunes sont invités à co-construire, à débattre, à explorer collectivement des solutions, plus ils s’approprient les enjeux climatiques de manière durable. Cela implique de revoir en profondeur la manière dont les institutions éducatives abordent ces sujets : en valorisant la diversité des savoirs, en favorisant l’expérimentation, et en donnant une place réelle à la parole des jeunes dans les espaces de décision.

Conclusion : sortir du silence, bâtir des récits partagés

Ce que révèle l’article de Maria Ojala et Yuliya Lakew, c’est avant tout la complexité du lien entre les jeunes et le climat. Les connaissances ne suffisent pas, les émotions ne doivent pas être ignorées, et l’action ne peut émerger que si elle s’inscrit dans des récits collectifs, où chacun trouve une place.

Les professionnels de l’éducation ont un rôle central à jouer pour faire émerger ces récits. Cela passe par une transformation de la pédagogie : intégrer les dimensions émotionnelles, valoriser les expressions artistiques, ouvrir des espaces de dialogue, et permettre aux jeunes de construire des perspectives d’avenir qui soient à la fois lucides et porteuses de sens. Cela suppose également d’accepter que les jeunes ne sont pas un groupe homogène, mais une diversité de voix, de vécus et d’attentes.

Ce que les jeunes attendent, ce ne sont pas des leçons de morale ni des injonctions au changement individuel. Ce qu’ils attendent, c’est que nous prenions leurs préoccupations au sérieux, que nous les écoutions, et que nous construisions avec eux des environnements propices à l’engagement. L’éducation à la durabilité environnementale ne doit pas seulement leur transmettre des savoirs : elle doit leur donner les moyens de participer à la construction du monde qu’ils habiteront demain.

Citation

Ojala, Maria & Lakew, Yuliya. (2017). Young People and Climate Change Communication. Oxford Research Encyclopedia of Climate Science. On line first. 10.1093/acrefore/9780190228620.013.408. 

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