Dans un monde de plus en plus urbanisé, où les écrans remplacent souvent l’expérience directe du vivant, comment renforcer notre lien avec la nature ? L’éducation à l’environnement cherche des moyens innovants pour reconnecter les individus aux écosystèmes qui les entourent. Une approche originale et prometteuse repose sur la musique. Chanter la et dans la nature permettrait de mieux la ressentir. Une étude récente menée par Katherine Arbuthnott et ses collègues (2022) s’est intéressée à l’impact des ateliers de songwriting inspirés par la nature, en comparant des expériences en extérieur avec celles réalisées en ligne. Les résultats mettent en lumière l’importance de l’immersion réelle dans la nature pour nourrir un lien authentique et durable avec l’environnement.
Quand la nature s’invite dans la musique
L’étude s’inscrit dans le cadre du programme "Songs for Nature" (S4N), initié en Saskatchewan en 2016. Ce projet propose aux participants de composer des chansons en s’inspirant du monde naturel. Cette démarche repose sur une idée forte. Pour développer une relation plus intime avec l’environnement, il ne suffit pas d’apprendre des faits scientifiques ou de suivre des campagnes de sensibilisation. Une connexion émotionnelle doit aussi s’établir. La musique offre un moyen puissant de créer ce lien, en sollicitant la sensibilité et l’imaginaire des participants.
Les ateliers S4N sont conçus pour favoriser cette double approche artistique et écologique. Le programme repose sur un processus créatif qui allie moments d’observation en nature, discussions et accompagnement à l’écriture de chansons. Les participants sont encouragés à exprimer leur ressenti face aux paysages, aux éléments vivants qui les entourent et aux enjeux environnementaux qu’ils perçoivent. En transformant leurs impressions en paroles et en mélodies, ils développent une relation plus personnelle avec leur environnement.
L’étude menée par Arbuthnott et ses collègues a comparé deux formats d’ateliers. Certains ont eu lieu en extérieur, dans des environnements naturels variés tels que des prairies, des forêts ou des rives de lacs. D’autres ont été réalisés en ligne, avec des supports numériques mettant en avant des images et des sons de la nature. Cette comparaison a permis d’évaluer dans quelle mesure le contexte d’apprentissage influence la relation des participants avec la nature.
Les bienfaits de l’expérience en extérieur
Les résultats de la recherche montrent que les ateliers en extérieur ont un impact bien plus fort sur la connexion à la nature que les ateliers en ligne. Les participants ayant vécu l’expérience en pleine nature ont exprimé un sentiment accru d’appartenance au monde naturel. Leur perception de l’environnement s’est enrichie et ils ont développé un lien plus profond avec les éléments qui les entouraient. Cette transformation ne s’est pas limitée à une simple prise de conscience. Elle s’est traduite par des émotions plus intenses et un engagement accru en faveur de la préservation des écosystèmes.
L’étude met également en évidence un effet positif sur l’état émotionnel des participants. Ceux qui ont participé aux ateliers en extérieur ont ressenti une amélioration de leur bien-être mental. Ils ont rapporté une diminution du stress et une sensation de calme et de sérénité plus marquée qu’au début du programme. Cette évolution s’explique par plusieurs facteurs. La nature a des effets reconnus sur la réduction de l’anxiété et l’amélioration de l’humeur. En combinant cette immersion avec un processus créatif et collectif, les ateliers en extérieur offrent une expérience complète et transformatrice.
En revanche, les ateliers en ligne ont produit des effets plus limités. Ils ont permis d’améliorer temporairement l’humeur des participants, mais n’ont pas renforcé leur lien avec la nature de manière aussi significative. Ce constat met en évidence l’importance du contact direct avec l’environnement naturel. Regarder des images ou écouter des sons de la nature ne suffit pas à créer une connexion durable. L’expérience physique, qui sollicite tous les sens, joue un rôle essentiel dans l’ancrage des émotions et des souvenirs liés à la nature.
Une des explications avancées par les chercheurs repose sur la notion de multisensorialité. L’expérience immersive en extérieur sollicite la vue, l’ouïe, l’odorat et le toucher. Les variations de température, les odeurs végétales, le bruit du vent ou des insectes sont autant de stimuli qui enrichissent la perception et la mémoire sensorielle. À l’inverse, l’expérience en ligne reste limitée à des impressions visuelles et auditives, bien moins engageantes sur le plan émotionnel.
Pourquoi la connexion à la nature est-elle essentielle ?
Le renforcement du lien avec la nature ne se limite pas à une meilleure compréhension du monde vivant. Il influence directement les comportements des individus envers l’environnement. De nombreuses recherches montrent que les personnes ayant un fort sentiment de connexion à la nature adoptent plus facilement des attitudes respectueuses des écosystèmes. Elles sont plus enclines à réduire leur empreinte carbone, à privilégier des modes de vie durables et à s’impliquer dans des initiatives de protection de la biodiversité.
L’impact de cette relation avec la nature ne s’arrête pas aux questions environnementales. Il joue un rôle déterminant sur la santé et le bien-être. Les études en psychologie environnementale montrent que le contact avec la nature réduit le stress, améliore la concentration et favorise l’équilibre émotionnel. Des chercheurs ont également mis en évidence que les individus vivant à proximité d’espaces verts bénéficient d’une meilleure qualité de vie et d’une espérance de vie plus longue.
Dans un contexte de crise écologique et sociale, ces éléments prennent une importance particulière. Renforcer la connexion à la nature pourrait être une des clés pour inciter à des changements de comportements plus profonds. Les initiatives éducatives doivent donc intégrer cette dimension sensible et immersive. Plutôt que de se limiter à des approches purement informatives, il est nécessaire d’explorer des formes pédagogiques qui suscitent un attachement émotionnel à l’environnement.
Quel rôle pour l’éducation à la durabilité environnementale ?
L’éducation à la durabilité environnementale doit s’appuyer sur ces enseignements pour proposer des expériences pédagogiques ancrées dans le réel. L’approche sensorielle et immersive permet de créer un lien tangible entre l’apprenant et son environnement. Organiser des sorties sur le terrain, proposer des activités en pleine nature et favoriser l’expression artistique sont autant de moyens d’intensifier cette connexion.
Les résultats de l’étude de Arbuthnott et ses collègues montrent que les outils numériques, bien que pertinents dans certains contextes, ne peuvent remplacer une immersion directe dans la nature. L’enseignement des enjeux environnementaux ne peut donc pas reposer uniquement sur des contenus théoriques et des ressources numériques. Il est essentiel de multiplier les occasions de rencontre avec le monde naturel pour favoriser une compréhension plus intime et engageante des défis écologiques.
Cette recherche met aussi en lumière le rôle que l’art et la créativité peuvent jouer dans la sensibilisation à l’environnement. En donnant une place centrale à l’expression personnelle, les ateliers de songwriting permettent aux participants de développer une relation plus profonde avec la nature. Cette approche pourrait être étendue à d’autres disciplines artistiques comme la peinture, la danse ou la photographie.
Conclusion : vers une éducation plus immersive et artistique
Cette recherche rappelle une vérité simple mais essentielle. Rien ne remplace l’expérience directe du vivant. Si l’on souhaite que l’éducation environnementale ait un impact profond et durable, il est indispensable de multiplier les occasions d’immersion en pleine nature. La musique et l’art, en tant que médiateurs sensibles, peuvent jouer un rôle précieux dans cette démarche.
Les éducateurs ont donc tout intérêt à intégrer des activités artistiques et sensorielles dans leurs dispositifs pédagogiques, en veillant à préserver une place centrale à l’expérience concrète du terrain. Car au final, c’est en ressentant la beauté et la richesse du monde naturel que nous aurons réellement envie de le protéger.
Citation
Arbuthnott, K. D., Sutter, G. C., Belcher, J., & Stewart, S. (2022). There’s nothing like the real thing: nature connection and emotion in outdoor and online songs for nature workshops. Environmental Education Research, 28(9), 1316–1330. https://doi.org/10.1080/13504622.2022.2074377