La distance psychologique comme frein à la mobilisation
La notion de "distance psychologique" repose sur quatre dimensions : spatiale, sociale, temporelle et hypothétique. Elle explique pourquoi de nombreuses personnes, bien que conscientes de l'existence du changement climatique, le perçoivent comme un problème abstrait, éloigné dans le temps ou concernant d'autres régions du monde. Cette perception limite l'urgence ressentie et, par conséquent, l'engagement dans des comportements proactifs. Par exemple, un étudiant pourrait penser que les effets du changement climatique concernent principalement des régions polaires ou des pays en développement, sans reconnaître leur impact dans son propre environnement.
Cette perception constitue un obstacle important dans l'enseignement des sciences environnementales. Si les étudiants ne parviennent pas à relier le contenu appris à leur réalité quotidienne, il devient difficile de les motiver à adopter des comportements durables ou à envisager des solutions concrètes.
L'idée de "localiser" le changement climatique
Pour surmonter ces barrières, Duke et Holt ont conçu une approche pédagogique combinant deux approches complémentaires : l’éducation ancrée dans le lieu (Place-Based Education, ou PBE) et le modèle d’enseignement pour des expériences transformatrices (Teaching for Transformative Experiences in Science, ou TTES). Ces approches visent à rendre le changement climatique tangible et pertinent en le reliant à des phénomènes observables localement.
L’intervention s’est déroulée en plusieurs étapes auprès de 471 étudiants en biologie répartis dans des universités aux États-Unis. Les activités proposées incluaient :
Explorer les impacts locaux sur les écosystèmes : les étudiants travaillaient en groupes pour identifier les effets visibles du changement climatique sur les systèmes naturels de leur région, comme la dégradation des sols, la diminution de la biodiversité ou les variations climatiques saisonnières. Ces observations étaient ensuite partagées en classe, favorisant une réflexion collective.
Relier le changement climatique aux impacts humains : une seconde activité les incitait à examiner les conséquences sociales du phénomène, comme les effets sur la santé, les économies locales ou les infrastructures. Cette dimension sociale visait à montrer que le changement climatique ne concerne pas seulement les phénomènes naturels, mais touche directement les communautés humaines, y compris celles des étudiants eux-mêmes.
Observer le changement climatique dans leur environnement immédiat : une visite sur le terrain leur permettait d’identifier les signes du changement climatique autour de leur campus, comme les arbres affectés par des températures extrêmes ou les infrastructures vulnérables aux inondations. Cet exercice pratique les incitait à "revoir" leur environnement à travers une nouvelle grille de lecture.
Une réduction mesurable de la distance psychologique
Les résultats de l’étude sont frappants. Après avoir participé à ces activités, les étudiants ont montré une réduction significative de leur distance psychologique, particulièrement sur les dimensions spatiale (perception des impacts locaux) et sociale (compréhension des impacts sur leur propre vie et celle de leur communauté). Ces changements suggèrent que les étudiants ont acquis une meilleure conscience des effets du changement climatique à une échelle personnelle et locale.
Plus précisément, les mesures effectuées avant et après l’intervention ont révélé des augmentations notables dans les scores des étudiants sur des échelles d’évaluation standardisées. Par exemple, le score lié à la perception des impacts humains a enregistré l’une des plus fortes progressions. Cela indique que les étudiants, initialement conscients de manière générale du changement climatique, ont intégré une compréhension plus nuancée et concrète de ses effets.
L’importance de l’approche locale et transformatrice
L’étude souligne que la simple transmission de connaissances sur le changement climatique ne suffit pas. Rendre ces connaissances pertinentes pour les étudiants, en les ancrant dans leur environnement immédiat, est essentiel. L’approche locale permet de surmonter l’abstraction du problème en le rendant observable et vécu. Par ailleurs, le modèle TTES encourage les étudiants à intégrer ces observations dans leur réflexion quotidienne, renforçant ainsi leur capacité à relier les apprentissages académiques à leurs expériences personnelles.
Ces résultats s’inscrivent dans une perspective plus large qui plaide pour une transformation de l’éducation face aux enjeux climatiques. Les pratiques pédagogiques doivent évoluer pour inclure des méthodes qui favorisent une compréhension plus profonde et une mobilisation plus forte des étudiants.
Vers une éducation qui engage
Les implications de cette étude sont nombreuses. En réduisant la distance psychologique, les éducateurs peuvent non seulement augmenter la sensibilisation des étudiants, mais aussi les encourager à adopter des comportements durables et à participer activement aux efforts de lutte contre le changement climatique. Cette transformation commence par des changements dans les approches pédagogiques, en valorisant les liens entre savoirs théoriques et réalités locales.
Ce type d’intervention pourrait être élargi à d’autres disciplines et contextes éducatifs. Par exemple, des cours d’histoire pourraient examiner l’évolution des paysages face aux changements climatiques, tandis que des cours d’économie pourraient explorer les implications locales de la transition énergétique. Ces approches interdisciplinaires contribueraient à intégrer les enjeux climatiques dans une vision systémique, essentielle pour relever les défis environnementaux actuels.
Citation
Duke J, Holt EA.2024.Place-based climate change: lowering students' psychological distance through a classroom activity. J Microbiol Biol Educ.25:e00168-23.https://doi.org/10.1128/jmbe.00168-23