Repenser l’éducation implique d’abord de rompre avec une approche purement fonctionnelle et utilitaire, qui se limite souvent à transmettre des connaissances techniques ou à répondre aux impératifs économiques immédiats. Ferguson invite à envisager l’éducation comme un processus transformateur, capable de restaurer les liens entre les individus, les générations et les écosystèmes. Cette vision repose sur l’idée que l’éducation peut combattre l’entropie, ce processus de désorganisation et de perte de structure, en cultivant une forme de « négéntropie », ou création de nouveaux ordres et significations.
Repenser l’éducation à travers le concept de négéntropie
Le concept de négéntropie, inspiré par les travaux de Bernard Stiegler et Charles Peirce, introduit une perspective radicalement différente sur le rôle de l’éducation. Là où l’entropie tend à désorganiser et à fragmenter, la négéntropie vise à organiser et à connecter. Cela signifie qu’une éducation véritablement négéntropique ne se limite pas à enseigner des faits ou des compétences isolées, mais cherche à renforcer les capacités relationnelles, émotionnelles et intellectuelles des élèves.
Dans un contexte marqué par des crises environnementales et sociales multiples, l’éducation doit être conçue comme un outil pour éveiller une attention profonde. Cette attention, opposée à la dispersion et à la superficialité souvent encouragées par les technologies numériques, est essentielle pour permettre aux élèves de comprendre la complexité des défis contemporains. Elle leur offre aussi la possibilité de s’engager activement dans la recherche de solutions durables.
L’éducation comme outil de transformation sociale et environnementale
L’une des critiques majeures formulées par Ferguson à l’égard du système éducatif actuel est qu’il tend à prolétariser les élèves et les enseignants, en les réduisant à des fonctions répétitives et standardisées. Ce processus entrave la créativité, la réflexion critique et la capacité à collaborer de manière significative. En réponse, Ferguson propose de recentrer l’éducation sur la création de liens intergénérationnels et sur la capacité à co-construire des réponses aux problèmes du monde réel.
Pour cela, il est nécessaire de réhumaniser les pratiques éducatives. Cela implique notamment de valoriser les expériences, les perspectives et les savoirs des élèves, tout en leur permettant de contribuer activement à la société. Une éducation transformatrice doit encourager des formes de pensée et d’action collaborative, où la diversité des points de vue devient une ressource pour innover et résoudre les crises globales.
L’agapisme : l’amour créatif comme fondement de l’éducation
Ferguson s’appuie sur la notion d’agapisme, développée par le philosophe Charles Peirce, pour expliquer comment l’éducation peut transcender ses limites actuelles. L’agapisme, ou amour créatif, n’est pas simplement une forme d’amour altruiste ; il s’agit d’un engagement actif envers le bien commun, qui favorise l’émergence de nouvelles possibilités pour les individus et les communautés.
Cette vision transforme l’éducation en un espace où les élèves apprennent non seulement à penser par eux-mêmes, mais aussi à agir de manière responsable et solidaire. En intégrant l’agapisme dans les pratiques éducatives, les enseignants peuvent aider les élèves à développer une empathie profonde pour les autres, humains comme non-humains, et à comprendre leur place dans un réseau d’interdépendances globales.
Exemples d’applications pratiques
Les idées de Ferguson trouvent des applications concrètes dans plusieurs initiatives éducatives. Par exemple, l’étude d’écosystèmes locaux permet aux élèves de comprendre comment les espèces interagissent et s’adaptent à leur environnement. Ces projets éducatifs ne se contentent pas d’enseigner des concepts scientifiques ; ils encouragent également les élèves à réfléchir à leurs propres responsabilités envers la planète.
Un autre exemple marquant est celui des mouvements d’activisme étudiant, tels que les grèves scolaires pour le climat. Ces initiatives montrent comment une éducation informelle peut renforcer la conscience politique et écologique des jeunes, tout en leur offrant des occasions d’apprentissage significatives. En participant à ces mouvements, les élèves acquièrent des compétences essentielles, telles que la prise de parole en public, la négociation et la pensée stratégique.
Enfin, les approches interdisciplinaires proposées par certains enseignants illustrent comment l’éducation peut intégrer des thématiques complexes, comme le changement climatique ou la justice sociale. En réunissant des disciplines variées, ces initiatives permettent de développer une compréhension globale des défis contemporains et d’encourager une réflexion critique sur les solutions possibles.
Conclusion
L’éducation négéntropique, telle que conceptualisée par Ferguson, représente une opportunité unique de transformer notre manière d’enseigner et d’apprendre à l’ère de l’Anthropocène. En cultivant l’amour créatif, l’attention profonde et la collaboration intergénérationnelle, elle offre une réponse puissante aux crises actuelles. Cette vision ne se limite pas à préparer les élèves à s’adapter aux changements ; elle leur donne les outils pour imaginer et construire activement des futurs plus justes, durables et harmonieux.
Pour les professionnels de l’éducation, intégrer ces principes dans leurs pratiques pédagogiques est une démarche essentielle. Cela nécessite non seulement une révision des programmes et des méthodes d’enseignement, mais aussi un engagement renouvelé envers les valeurs de solidarité, de justice et de créativité. En adoptant une éducation négéntropique, nous pouvons faire de l’Anthropocène non pas une époque de déclin, mais une ère de renouveau et de floraison pour l’humanité et la planète.
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