L'article de Sloan Morgan et ses collègues met en lumière cette dynamique, insistant sur l'idée que les jeunes ne sont pas des acteurs passifs, ni des individus qui ont besoin d’être "sauvés", comme le suggère parfois la rhétorique médiatique. Au contraire, ils sont des agents actifs du changement, souvent à l'avant-garde des luttes pour la justice climatique et sociale. L'une des idées principales de cet article est de montrer que les jeunes, en particulier les jeunes issus des communautés marginalisées et indigènes, ont joué un rôle essentiel dans la lutte contre les inégalités environnementales. Ces jeunes sont présents dans les rues, les tribunaux, les écoles et même dans des forums internationaux, à exiger non seulement des actions immédiates, mais aussi des réformes systémiques profondes.
Toutefois, comme le souligne Morgan, leur engagement est souvent ignoré ou détourné. Les décisions majeures continuent d'être prises sans leur pleine participation, ce qui les conduit à être à la fois visibles dans le discours public et absents des discussions effectives. Ce paradoxe, où les jeunes sont visibles mais sans influence réelle, illustre la nécessité d'une transformation structurelle de l'engagement envers les jeunes dans les questions de justice climatique.
L'histoire de la justice climatique et l'implication des jeunes
Pour bien comprendre l'engagement actuel des jeunes dans la justice climatique, il est essentiel de situer ce mouvement dans l'histoire plus large de la justice environnementale. Ce mouvement trouve ses racines dans les luttes menées par des communautés marginalisées, principalement des Afro-Américains dans le sud des États-Unis dans les années 1970, contre l'injustice environnementale. À cette époque, il s'agissait de dénoncer la présence disproportionnée de sites toxiques et industriels dans les quartiers habités par des populations pauvres et racisées. Cette lutte a donné naissance à ce que l’on appelle aujourd’hui la "justice environnementale", un concept qui lie inextricablement les questions d'inégalité sociale et d'impact environnemental.
Les jeunes d'aujourd'hui, en particulier ceux issus des communautés indigènes et des minorités ethniques, poursuivent cette lutte en dénonçant les impacts disproportionnés du changement climatique sur les populations vulnérables. Ils se battent pour que la justice climatique prenne en compte non seulement la réduction des émissions de gaz à effet de serre, mais aussi les injustices sociales et économiques qui aggravent les conséquences du dérèglement climatique.
En ce sens, la justice climatique, telle que la conçoivent les jeunes militants, ne se limite pas à la simple lutte contre le changement climatique. Elle implique une remise en question des structures de pouvoir qui perpétuent les inégalités sociales et environnementales. Ces jeunes comprennent que le changement climatique n'est pas seulement une question environnementale, mais qu'il est aussi le produit de systèmes économiques et politiques fondés sur l'exploitation et la domination, tels que le capitalisme et le colonialisme.
Les obstacles systémiques à la transformation
Malgré leur engagement et leur compréhension des enjeux, les jeunes se heurtent à des obstacles systémiques majeurs. L'article de Sloan Morgan souligne que l'un des principaux obstacles est la manière dont les institutions traitent la question climatique. Par exemple, dans de nombreux pays, l'éducation au climat est souvent sponsorisée par des entreprises de combustibles fossiles, créant ainsi un paradoxe où les jeunes sont sensibilisés aux dangers du réchauffement climatique par des entités qui en sont directement responsables. Ces programmes éducatifs, bien qu'ils puissent sembler positifs à première vue, détournent souvent l'attention des véritables responsables de la crise climatique et placent le fardeau de la responsabilité sur les individus, en particulier les jeunes.
Cela reflète un schéma plus large d'inaction systémique, où les gouvernements et les grandes entreprises reconnaissent l'urgence climatique tout en continuant à promouvoir des pratiques qui exacerbent la crise. Ce sont ces mêmes jeunes qui, tout en étant éduqués sur les impacts de leur consommation personnelle, ne reçoivent pas les outils nécessaires pour contester les structures économiques et politiques qui maintiennent le statu quo.
Un autre obstacle majeur est l'invisibilisation des jeunes militants issus des communautés marginalisées. Alors que des figures comme Greta Thunberg ont acquis une reconnaissance internationale, de nombreux jeunes militants de couleur, en particulier ceux du Sud global, continuent d'être ignorés par les médias et les institutions. Par exemple, Vanessa Nakate, une militante ougandaise pour le climat, a été littéralement effacée d'une photo avec Thunberg et d'autres militants lors du Forum économique mondial de Davos en 2020. Ce type d'effacement symbolique renforce les dynamiques de pouvoir qui continuent d'exclure les jeunes militants issus de contextes défavorisés, malgré leur rôle crucial dans la lutte pour la justice climatique.
La jeunesse comme moteur de transformation sociale et environnementale
Malgré ces défis, l'article souligne que les jeunes continuent de jouer un rôle central dans les mouvements de justice climatique. À travers des initiatives locales et des mouvements internationaux, ils poussent à une transformation systémique qui va au-delà des simples ajustements des politiques existantes. Les jeunes militants exigent des actions qui prennent en compte l'intersectionnalité, c'est-à-dire l'interconnexion des différentes formes de discrimination et d'injustice. Ils reconnaissent que la lutte contre le changement climatique ne peut être dissociée des luttes contre le racisme, le sexisme, et d'autres formes d'oppression.
Les jeunes militants ne se contentent pas de demander des réductions des émissions de carbone ; ils appellent à une révision complète des systèmes économiques et sociaux qui perpétuent les inégalités. Cela se traduit par des actions locales, comme celles menées par des jeunes indigènes au Canada qui luttent pour la protection de leurs terres, mais aussi par des manifestations à l'échelle mondiale, telles que les grèves climatiques organisées par Fridays for Future.
Les jeunes sont souvent les premiers à comprendre l'importance d'une approche locale pour répondre aux enjeux globaux. En effet, ils insistent sur le fait que la justice climatique doit être ancrée dans les réalités locales, en particulier celles des communautés les plus vulnérables. C'est pourquoi ils appellent à des actions qui respectent les droits des peuples indigènes, promeuvent l'autonomie des communautés locales et intègrent les perspectives des groupes marginalisés dans la prise de décision.
Conclusion
Les jeunes sont plus que de simples participants aux discussions sur la justice climatique : ils en sont les moteurs. Pourtant, ils continuent d'être marginalisés dans les processus décisionnels, souvent relégués à des rôles symboliques sans réelle influence. L'article de Sloan Morgan met en lumière les dynamiques complexes auxquelles sont confrontés les jeunes militants, tout en soulignant leur capacité à proposer des alternatives audacieuses et nécessaires aux systèmes en place.
Pour les éducateurs et les professionnels de l’éducation à la durabilité, il est essentiel de soutenir ces jeunes en leur offrant les ressources, les espaces de réflexion et les plateformes dont ils ont besoin pour s'engager pleinement. Plus encore, il est impératif de veiller à ce que les initiatives éducatives ne reproduisent pas les dynamiques de pouvoir qui excluent les jeunes des discussions les plus importantes sur leur avenir.
En tant que professionnels, nous devons nous interroger sur la manière dont nous pouvons contribuer à une transformation véritablement inclusive, en donnant aux jeunes la place qu'ils méritent dans la lutte pour la justice climatique. Il est temps de dépasser la simple reconnaissance symbolique de leur engagement et de créer des espaces où leurs voix peuvent réellement façonner les politiques et les actions pour un avenir durable
Citation
Onyx Sloan Morgan, Fabiola Melchior, Kimberley Thomas, Laura McNab‐Coombs, Youth and climate justice: Representations of young people in action for sustainable futures, The Geographical Journal, 10.1111/geoj.12547, 190, 1, (2023).
Lien vers l'article
https://rgs-ibg.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/geoj.12547