Le changement climatique est sans conteste l'un des enjeux les plus pressants du XXIe siècle. Ses effets se font déjà ressentir à travers des événements climatiques extrêmes et une dégradation progressive des écosystèmes. Toutefois, l'impact de cette crise ne se limite pas aux seuls aspects environnementaux et économiques : il touche également à la santé mentale des populations, en particulier des jeunes générations, plus exposées que jamais à des informations constantes sur l'état alarmant de la planète.
Dans ce contexte, une étude récente publiée dans le International
Journal of Social Science and Education Research Studies par des chercheurs
de l'Université de Mindanao, aux Philippines, s'intéresse à la relation entre
la prise de conscience du changement climatique et un phénomène croissant,
l'éco-anxiété. Ce terme, qui désigne l’anxiété liée aux perspectives sombres de
l’avenir environnemental, est de plus en plus utilisé pour décrire un sentiment
partagé par de nombreux jeunes à travers le monde.
Au cœur de l'étude, la question suivante : les
étudiants philippins, déjà bien informés sur les risques liés au changement
climatique, ressentent-ils une forme de détresse psychologique associée à cette
prise de conscience ? En s'appuyant sur des données quantitatives, les
chercheurs ont cherché à comprendre comment le niveau de conscience climatique
influence l’apparition de l’éco-anxiété et à quel point ces deux phénomènes
sont liés.
La prise de conscience climatique et
ses répercussions psychologiques
Dans un pays comme les Philippines, souvent considéré
comme l'un des plus vulnérables aux catastrophes climatiques, la sensibilisation
au changement climatique est devenue un enjeu majeur, non seulement pour
préparer la population aux défis futurs, mais aussi pour renforcer la
résilience face aux événements climatiques récurrents. Les étudiants
philippins, notamment ceux résidant dans des zones fortement touchées par des
typhons ou des inondations, sont régulièrement exposés à des programmes
éducatifs sur le changement climatique. L’étude menée par Sanchez et ses
collègues (2024) montre que cette exposition a conduit à un très haut niveau de
conscience climatique parmi les étudiants universitaires.
Les chercheurs ont utilisé l’échelle de conscience du
changement climatique développée par Ezeudu et al. (2016), qui mesure la
compréhension des étudiants face aux problèmes climatiques globaux, ainsi que
leur connaissance des causes et des effets du changement climatique. Avec une
moyenne de 4,24 sur une échelle de 5, les étudiants de Davao affichent un
niveau de conscience qualifié de "très élevé", ce qui reflète leur
engagement et leur compréhension des enjeux climatiques. Ce niveau élevé
s’explique en partie par les efforts déployés par le système éducatif philippin
pour intégrer ces concepts dans les programmes scolaires dès le plus jeune âge,
notamment à travers des matières comme les sciences ou l’éducation civique.
Cependant, cette conscience accrue n’est pas sans
conséquences sur leur bien-être mental. Le phénomène d’éco-anxiété, qui est la
peur, l’inquiétude ou la détresse face aux défis environnementaux actuels et
futurs, semble en effet corrélé à ce haut degré de sensibilisation. Selon les
données collectées, bien que l’éco-anxiété ne soit pas systématiquement
exacerbée par une conscience climatique élevée, elle est néanmoins présente à
un niveau modéré chez la plupart des étudiants.
La question qui émerge alors est : comment transformer
cette anxiété en une force positive ? L'éducation sur le changement climatique
doit-elle être complétée par des initiatives pour aider les jeunes à gérer leur
stress et leurs émotions face à ces enjeux globaux ? L'étude de Sanchez et al.
met en lumière cette nécessité de réajuster les programmes d’éducation à
l’environnement afin de non seulement sensibiliser, mais aussi de doter les
étudiants des outils nécessaires pour faire face à l’éco-anxiété.
L’un des points clés soulevés par l’étude est que
cette anxiété climatique, bien que modérée, ne doit pas être sous-estimée. En
effet, les jeunes générations sont particulièrement vulnérables à l’éco-anxiété
pour plusieurs raisons. Tout d’abord, ils grandissent dans un monde où les
effets du changement climatique sont omniprésents, que ce soit à travers des
catastrophes naturelles de plus en plus fréquentes, comme les typhons ou les
inondations aux Philippines, ou via les informations médiatiques alarmantes qui
circulent sur les réseaux sociaux et les plateformes d’information.
Ensuite, l'étude montre que ces étudiants, tout
en étant bien informés sur la crise climatique, se sentent souvent impuissants
face à l'ampleur du problème. Cette impuissance, combinée à la pression
croissante pour agir et trouver des solutions durables, peut créer un sentiment
de désespoir ou de culpabilité. Plusieurs enquêtes, dont celle menée par
Hickman et al. (2021), confirment ce constat : une large majorité de jeunes, à
travers le monde, se déclarent très inquiets pour l'avenir de la planète, et
nombreux sont ceux qui estiment que les gouvernements et les institutions n’en
font pas assez pour atténuer les effets du changement climatique. Ce sentiment
d'abandon et de trahison par les dirigeants politiques peut alors renforcer
leur anxiété, les amenant à penser que la situation échappe à tout contrôle.
Le cadre théorique utilisé dans cette étude
repose sur l'Appraisal Theory, ou théorie de l’évaluation, développée par Smith
et Lazarus (1990). Selon cette théorie, l’évaluation qu’un individu fait d’une
situation potentiellement menaçante influence directement sa réaction
émotionnelle. Dans le cas du changement climatique, les étudiants qui
perçoivent cette menace comme imminente ou irréversible sont plus susceptibles
de ressentir des émotions négatives, telles que l’anxiété, la colère ou la
tristesse. De plus, les résultats de l'étude indiquent que les étudiants qui
disposent de moins de moyens de "faire face" à cette menace, comme
des actions concrètes ou un soutien social, ressentent une éco-anxiété plus
intense. Cela souligne l'importance de fournir aux jeunes des ressources non
seulement pour les éduquer sur les défis climatiques, mais aussi pour leur
permettre d'agir de manière constructive face à ces défis.
L'éducation environnementale : entre
sensibilisation et gestion du bien-être mental
Face à ces constats, il devient évident que
l'éducation à l'environnement ne doit plus se limiter à une simple transmission
d'informations sur les dangers du changement climatique. Bien que l’intégration
des questions climatiques dans les cursus scolaires soit essentielle pour
former une génération consciente des enjeux environnementaux, l'approche
actuelle peut être révisée pour inclure une dimension psychosociale plus forte.
Le risque est que cette éco-anxiété se transforme en une paralysie
émotionnelle, empêchant les jeunes d’agir et de participer activement à la
transition écologique.
L'étude de Sanchez et ses collègues met en avant
l'importance de développer des programmes pédagogiques qui permettent aux
étudiants de mieux comprendre la crise climatique tout en cultivant des
compétences émotionnelles et pratiques pour y faire face. Par exemple, les
jeunes peuvent être encouragés à participer à des initiatives locales de
préservation de l'environnement, à des projets de volontariat écologique ou à
des mouvements citoyens pour la justice climatique. Ces activités ont non
seulement le potentiel de canaliser leur anxiété en actions positives, mais elles
leur donnent également un sentiment d'empowerment, de contrôle sur une
situation autrement perçue comme accablante.
De plus, une approche pédagogique plus holistique
pourrait inclure des séances de formation sur la résilience émotionnelle face à
la crise climatique, une pratique déjà en cours dans certaines écoles. Les
enseignants peuvent jouer un rôle clé en sensibilisant leurs élèves non
seulement aux défis environnementaux, mais aussi aux outils psychologiques qui
permettent de gérer ces émotions négatives. Parmi ces outils, on trouve la
méditation de pleine conscience, les discussions de groupe sur l’impact
émotionnel du changement climatique ou encore des stratégies de résolution de
problèmes pour faire face à des situations complexes.
Par ailleurs, l’intégration de modules sur la
justice climatique et les inégalités mondiales dans l’enseignement peut offrir
aux étudiants une perspective plus large et plus nuancée sur la manière dont
les crises environnementales affectent différemment les communautés à travers
le monde. Cela peut également contribuer à diminuer l’éco-anxiété en renforçant
le sentiment de solidarité et en montrant aux jeunes que leurs actions, aussi
modestes soient-elles, peuvent avoir un impact positif sur leur communauté et
au-delà.
Conclusion
L’éco-anxiété est un phénomène en plein essor,
particulièrement chez les jeunes qui, tout en étant plus informés que jamais
sur les enjeux environnementaux, se retrouvent confrontés à une réalité
alarmante qu’ils perçoivent souvent comme insurmontable. L’étude menée aux
Philippines par Sanchez et ses collègues met en lumière cette relation complexe
entre une prise de conscience climatique accrue et l’apparition de
l’éco-anxiété chez les étudiants. Bien que ces jeunes affichent un niveau très
élevé de sensibilisation aux problématiques liées au changement climatique,
cette prise de conscience n’est pas sans conséquences sur leur bien-être
mental.
Face à cette réalité, il est essentiel de
repenser l'éducation à la durabilité environnementale. Il ne suffit plus
d’informer les étudiants sur les dangers écologiques, il faut leur offrir des
outils concrets pour agir et les accompagner dans la gestion de leur anxiété.
L'éducation doit donc devenir un espace non seulement de sensibilisation, mais
aussi de construction de résilience et d’encouragement à l’action collective.
Les politiques éducatives doivent intégrer des
programmes qui allient sensibilisation aux enjeux environnementaux, formation à
la résilience émotionnelle et participation active à des initiatives de
changement. En offrant aux jeunes la possibilité de s'engager dans des actions
locales et internationales, nous pouvons transformer leur sentiment
d’impuissance en un moteur de changement, et leur éco-anxiété en une force
positive pour un avenir durable.
Il est également déterminant que les décideurs,
les éducateurs et les institutions travaillent main dans la main pour créer un
environnement où les jeunes se sentent non seulement informés, mais aussi
soutenus et capables d’agir. Les systèmes éducatifs doivent jouer un rôle
fondamental dans cette transformation, non seulement en inculquant une
compréhension approfondie des défis climatiques, mais aussi en préparant les
générations futures à les affronter avec confiance, détermination et espoir.
Citation
Kaye L. Sanchez, Doreen G. Antipuesto, Jmarc
Emanuel L. De Perio, Jonnel V. Campania (2024). Climate Change Awareness and
Eco-Anxiety Among Undergraduate Students. International Journal of Social Science
and Education Research Studies, 4(9), 1017-1024
Lien vers l’article
https://ijssers.org/wp-content/uploads/2024/09/10-1609-2024.pdf